Les microdistilleries du Bas-St-Laurent étouffées par une injustice règlementaire

Distillerie du Saint-Laurent, l'une des pionnières du secteur avec ses gins et son whiskey.

Des microdistilleurs du Bas-St-Laurent et du Québec étouffent sous le poids des frais que lui impose le gouvernement du Québec sur chaque bouteille vendue en propriété. 418-732-7272

Si les microdistilleurs s’accommodent bien des règles en vigueur à la SAQ, ils se demandent bien pourquoi la SAQ leur impose des frais de 52 % sur chaque bouteille vendue à la propriété, en distillerie. L’État perçoit ainsi des revenus sur des ventes dans lesquelles il ne joue aucun rôle. « Les majorations perçues pour les bouteilles vendues en propriété engloutissent les profits qui devraient leur revenir » nous dit l’Union québécoise des microdistilleries (UQMD). L’Union qui représente près de 60 % des acteurs de cette industrie. Les produits des microdistilleries sont les seuls produits alcoolisés pour lesquels on prélève une telle majoration sur la vente à la propriété ajoute l’UQMD.

David Soucy, Distillerie Mitis de Mont-Joli

David Soucy est maître assembleur à la Distillerie Mitis de Mont-Joli. Il estime que cette iniquité fiscale nuit aux microdistilleurs et au tourisme régional aussi. « Actuellement le gouvernement perçoit plus sur chaque bouteille vendue sur la propriété que ce qu’on fait nous-mêmes, alors que l’entreprise assume seule, la production, la vente, la main-d’œuvre, les frais de carte de crédit et la publicité », assure David Soucy. « On a cinq distilleries au Bas-Saint-Laurent/Gaspésie. Les gens viennent pour ça. On veut donner de l’emploi aux gens, multiplier les sous-produits. Mais avec les modalités actuelles, on rentre juste dans nos frais. On veut générer des revenus maintenant et non pas dans trois ans. On demande à Québec de libérer les fonds. Ça change tout dans l’équation. La clientèle désire encourager le local. Quelqu’un reçoit cet argent-là, mais ce n’est pas nous ». La Distillerie Mitis produit annuellement depuis deux ans près de 60 000 bouteilles de gin, de rhum et d’acérum.

Michael Fortin, Distillerie Témiscouata à Auclair

Un produit prometteur et une épine dans le pied
Michael Fortin est directeur général de la toute nouvelle Distillerie Témiscouata. L’entreprise va sous peu mettre sur le marché 6 000 bouteilles d’une toute nouvelle eau-de-vie tirée de l’érable, l’acérum blanc et brun. « C’est une opportunité incroyable pour le Québec. On espère se rendre rapidement sur le marché international. Léger, fruité, savoureux. Une eau-de-vie unique au monde ». Un produit de niche fort prometteur qui a nécessité des investissements de 1,15 M$. Selon lui, l’imposition par Québec d’une taxe de 52 % sur chaque bouteille vendue à la distillerie, ampute l’envolée du secteur et nuit au tourisme régional. Il cite en exemple les producteurs de scotch en Écosse. Ils sont devenus de véritables moteurs de développement touristique. « On a deux marchés, celui de la SAQ et celui de la vente sur place. On n’a pas le droit de vendre dans les épiceries, aux restaurateurs et aux dépanneurs. Que vous alliez l’acheter à la SAQ ou à la distillerie, pour le producteur, il n’y a pratiquement pas de différence. Ça n’a pas de bon sens. Sur une bouteille de 45 $, la SAQ va aller en chercher 24 $ et elle n’aura même pas touché à la bouteille. Je pense que la distillerie se fait avoir. C’est de l’abus et ça étouffe le tourisme », explique Michael Fortin de la Distillerie Témiscouata à Auclair.

Michael Fortin de la Distillerie Témiscouata accorde en entrevue avec Guylain Jean de Plaisir FM 95,5 Dégelis

Que faire pour mettre fin à cette iniquité fiscale?
Jonathan Roy, est maître assembleur à la distillerie des Fils du Roy à St-Arsène, près de Rivière-du-Loup. Il est aussi président de l’Union québécoise des microdistilleurs. « Ça fait cinq ans qu’on est en communications avec le gouvernement et qu’il nous répète — ne vous inquiétez pas —. Le gouvernement nous a promis de l’air, mais l’air s’est transformé en courant d’air », assure Jonathan Roy. « Les lois internationales n’obligent pas l’État à taxer la vente à la propriété. C’est une décision du ministère de l’Économie et de l’Innovation du Québec. On a fait beaucoup de travail avec le gouvernement, il a tout en main pour prendre des décisions éclairées. Il a cédé 2 %, ce qui nous donne deux à trois dollars de plus par bouteille vendue. Si on veut faire vivre nos microdistilleries à l’année, ça nous prend bien plus que ça » assure M. Roy.

Jonathan Roy, président de l’Union québécoise des microdistilleries et maître assembleur à la distillerie des Fils du Roy de St-Arsène

Les Fils du Roy produit près de 20 000 bouteilles par an. Selon M. Roy, le gouvernement a le pouvoir d’agir, mais refuse de le faire. « On veut que le gouvernement cesse d’être dans l’inaction. Il sait de quoi on a besoin et il a tout en main pour permettre ces changements règlementaires annoncés pour 2024. On ne peut pas attendre jusqu’en 2024 ». Et sa collègue, Annick Van Campenhout, secrétaire générale de l’Union des microdistilleries du Québec (UQMD) ne comprend pas pourquoi le gouvernement s’obstine. « Ça fait trois ans qu’on pose des questions, qu’on essaie de comprendre. J’ai demandé à Richard Masse, sous-ministre adjoint au MEI, qu’est-ce qu’on ne comprend pas? Québec Solidaire a compris ce qu’on demandait et en a fait un projet de loi. Le MEI nous dit que les accords internationaux les empêchent de le faire. On est rendus désespérés quasiment. Depuis 2018, ils ont eu le temps de regarder le dossier, de faire des analyses, on ne le sort pas du chapeau? »

Joël Pelletier et Jean-François Cloutier de la Distillerie du Saint-Laurent à Rimouski ont été parmi les premiers à se lancer dans l’aventure de la microdistillerie avec leur gin et leur whiskey. « On a vu l’industrie évoluer au fil du temps, depuis 2015, on a entendu de belles promesses. On est face à une aberration, à une incongruité de la loi. Les autres producteurs alimentaires au Québec et de boisson alcoolisés n’ont pas à payer des quotes-parts au gouvernement. Tous les partis comprennent ça, les élus qu’on rencontre aussi. Lorsqu’ils apprennent ça ils ont la mâchoire à terre. On demande tout simplement l’équité », ajoute Joël Pelletier.

Joël Pelletier lors de la réception du premier alambic de la distillerie © Distillerie du Saint-Laurent

Le MEI aurait les mains liées
Au moment d’écrire ces lignes on attendait toujours un retour de Claudia Loupret, attachée de presse au ministère de l’Économie et de l’Innovation du Québec. L’Union québécoise des microdistilleurs affirme qu’une rencontre est prévue lundi prochain au cabinet du sous-ministre adjoint, mais elle ne sait avec qui!